Le titre de cet article n’est probablement pas très accrocheur ni très parlant pour la plupart des guitaristes.
Pourtant, il s’agit d’un principe extrêmement important lorsque l’on joue de la guitare, quel que soit son niveau.
Il peut nous forcer à jouer de manière scolaire et rébarbative si on ne l’applique pas, mais il peut à l’inverse débloquer énormément de difficultés si on tente de le développer.
Laissez-loi d’abord vous expliquer d’où m’est venue l’idée de cet article…
Un petit tour à moto
L’idée m’est venue la semaine dernière, alors que je roulais à moto sur une route de campagne.
Il faisait très beau, la route était dégagée, je n’étais pas pressé, je ne roulais pas vite et je profitais du paysage.
Bref, des conditions idéales… jusqu’au moment où, à un croisement, une voiture dont le conducteur devait être beaucoup plus pressé que moi m’a coupé la route.
J’ai dû freiner d’urgence pour ne pas frapper de plein fouet le véhicule qui venait de griller la priorité.
C’est le genre de situations qui arrivent fréquemment, mais c’est à ce moment là que j’ai réalisé que j’en étais sorti indemne parce que j’avais anticipé le comportement du conducteur imprudent et que j’avais instinctivement relâché l’accélérateur une seconde avant, en me concentrant sur ce qui pouvait se produire à ce croisement.
Si je n’avais pas anticipé le danger qui se profilait devant moi, je n’aurais probablement pas pu freiner à temps, et je ne serais peut-être pas en train d’écrire cet article !
La difficulté, lorsqu’on est sur la route, c’est qu’il faut anticiper le comportement des autres usagers, qui peut être imprévisible.
L’avantage, lorsque l’on joue un morceau à la guitare, c’est que l’on sait à l’avance quelles notes et quels accords on va devoir jouer.
Il est donc facile d’anticiper ce qui va suivre puisque vous connaissez à l’avance la suite du morceau.
A quoi sert l’anticipation ?
Sur la route, lorsque l’on est confronté à un danger, il suffit de s’arrêter et le danger est évité.
Le problème c’est que l’arrêt n’est pas instantané.
Lorsque l’on a identifié le danger, il faut compter notre temps de réaction, le temps d’actionner le frein, puis le temps que le véhicule ralentisse jusqu’à l’arrêt complet.
Selon les situations, ça peut demander plusieurs secondes, ce qui est gigantesque face à une situation d’urgence.
A la guitare, on a également des contraintes techniques.
Il est par exemple impossible de changer de position d’accord de manière instantanée.
Les doigts ont besoin d’un certain délai pour se déplacer d’une corde à l’autre ou d’une case à l’autre.
Il est possible de pratiquer et de travailler ces enchaînements pour qu’ils se fassent de plus en plus rapidement, mais même avec des années de travail, ces changements ne seront jamais instantanés, c’est physiquement impossible.
C’est là que l’anticipation entre en ligne de compte.
Prenons un exemple grossier. Admettons que nous ayons besoin d’une demi-seconde (ce qui est beaucoup trop, c’est juste pour l’exemple) pour passer d’un accord de Do majeur à un accord de Sol majeur.
Si nous enchaînons ces 2 accords, et que le deuxième est joué avec une demi-seconde de retard, ce que nous jouons paraîtra arythmique et ne sera pas du tout musical.
Si, à l’inverse, nous anticipons ce changement d’accords et que nous le préparons une demi-seconde avant le moment fatidique, ça signifie 2 choses :
- Le premier accord ne résonnera plus pendant la dernière demi-seconde.
- Le deuxième accord sera joué pile au bon moment.
On va donc se retrouver avec le même silence, le même blanc que lorsque nous n’anticipions pas le changement d’accords.
Donc de ce point de vue là, il n’y aura aucune différence.
Mais le fait de jouer le second accord au bon moment sera beaucoup plus musical et on n’aura plus cette sensation de rythme bancal.
Puis au fur et à mesure que vous allez travailler cet enchaînement d’accords, le petit silence à la fin du premier accord va devenir de plus en plus court, jusqu’à donner l’illusion que le changement est instantané.
Comment ne pas tout gérer en même temps ?
D’autre part, lorsque l’on joue un morceau que l’on ne maîtrise pas encore, il y a des passages où on a beaucoup trop de choses à gérer en même temps.
Restons sur l’exemple de l’enchaînement de 2 accords.
Au moment du changement d’accord, les doigts de la main gauche vont devoir se déplacer tous en même temps, de manière précise et rapide, pendant que la main droite continuera à jouer le rythme ou les arpèges, et pendant que l’on devra jeter un coup d’œil sur notre partition parce qu’on n’est pas sûr de ce qui va suivre.
Bref, notre cerveau va être surchargé d’informations et de mouvements à gérer simultanément, ce qui risque de produire un temps de blocage et réduire à néant nos efforts pour jouer en rythme.
Si on attend le dernier moment pour ça, il va falloir passer par un processus interminable : « Bon, j’étais sur un accord de Do majeur, et là je vais devoir jouer un accord de Sol majeur. Sur le Do majeur, mon index était sur la 1ère case de la 2ème corde, donc je vais devoir le déplacer sur la 2ème case de la 5ème corde, puis mon majeur… ».
Bref, j’arrête là !
En n’ayant imaginé que le déplacement de l’index, le temps qui nous était imparti pour changer d’accord est déjà écoulé.
Le fait d’anticiper ce genre de difficultés permet à votre cerveau de traiter une partie des informations à l’avance.
Ainsi, il saura à l’avance quel doigt va devoir bouger, et où celui-ci va devoir se placer.
Donc le moment venu, les informations à gérer seront moins nombreuses, et il y aura plus de chance que votre enchaînement d’accords se fasse sans accrocs.
Un principe universel
Pour expliquer ce principe de l’anticipation, je me suis concentré sur l’exemple de l’enchaînement de 2 accords standards, ce qui peut sembler ridicule aux guitaristes plus avancés, pour qui ces enchaînements d’accords se font instinctivement, sans avoir besoin d’y réfléchir.
Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que ce principe fonctionne pour tout ce que vous jouez, quel que soit votre niveau, et quelle que soit la difficulté du morceau.
Evidemment, ça ne fera pas tout, et ça ne suffira pas.
Si vous voulez jouer un morceau très difficile techniquement et que votre niveau technique n’est pas encore suffisant pour y parvenir, l’anticipation ne résoudra pas tous les problèmes.
Mais même dans ce genre de cas, le fait d’anticiper les phrases ou les difficultés techniques qui vont suivre, et de s’en faire une représentation mentale à l’avance, peut améliorer de façon considérable le rendu de ce que vous êtes en train de jouer.
Ce n’est pas évident, mais persévérez, ça en vaut la peine
Parvenir à anticiper tout ce que l’on joue ne se fait pas toujours de manière instinctive.
Si vous n’avez pas l’habitude de le faire naturellement, vous devrez le faire de manière consciente, pour habituer votre cerveau à prendre de l’avance, et donc à être prêt au moment voulu.
Selon les gens, ce n’est pas toujours facile, et ça peut vous demander un peu de pratique avant de rendre ce processus naturel.
Mais cette pratique ne sera pas du temps perdu, tant les résultats qui en découleront amélioreront votre façon de jouer de la guitare.
Commentaires
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J’apprend depuis 5 ans la guitare,effectivation,il faut repeter repeter les enchainements d accords,choisir des chansons avec 4 ou 5 accords au debut.Pour les barres c est pareil,faire des glissements sur le manche.Une astuce qui marche pour les passages d accord,si tu chantes en jouant,tu dois lire l accord suivant avant de le jouer.bon travail
je joue pourtant depuis bientôt 37 ans de la guitare et c’est assez drôle, parce que j’avais le sentiment de légèrement progresser aussi ces derniers temps, je me faisais exactement la même reflexion que l’un de vos conseil…a savoir le fait d’anticiper pour jouer en rythme. et sans avoir lu ce conseil au préalable.
je dirais dans mon cas, que la rigueur rythmique n’a jamais été évidente, d’autant que comme je joue la plupart pour accompagner des, mes chansons, donc je chante en même temps.
je suppose que nous ne sommes pas tous égaux devant les difficultés d’apprentissage de la guitare, mais quand on aime on ne compte pas…
amicalement Jean michel
Bonjour.
Motard aussi depuis 30 ans et apprenti gratteux depuis moins de deux mois.
En moto, l’anticipation permet de se sortir de situations parfois périlleuses. l’anticipation mais aussi faire en sorte que la plus part des actions qui demandent réflexion soient intégrées dans les reflex, décharger le cerveau de tâches dont le cervelet peut se charger.
Dans la pratique de la guitare, le cerveau commande quand changer d’accord et le cervelet doit être capable de gérer le positionnement des doigts indépendamment, inconsciemment.
La majeur partie du travail consistant justement à faire en sorte que tous les placements de doigts deviennent instinctifs.
C’est un travail long, répétitif, mais gratifiant quand on arrive à placer ses doigts sans regarder ce qu’on fait et entendre l’accord sonner juste!
Au passage, merci pascal pour ce site, cette mine de renseignements que tu mets à notre disposition.
Motardement, musicalement, passionnément votre.
Bjr,
apprenti « guitariste » depuis 2 ans, je passe les barrés sans problème. Je me retrouve dans tes propos sur la gestion simultannée de trop d’informations et c’est par « l’automatisation » de la position des accords, donc un « travail » régulier que je me libère d’une partie du problème. C’est une autre manière de parler d’anticipation … non ?
Bonne guitare à vous
Excellente suggestion à intégrer dans ma pratique.
Merci Pascal
Rien à dire sinon que tout est dit :-))
Que dire de plus encore un très bon article; Pascal est vraiment un excellent épistolaire!
Quant à moi la moto j’ai arrêté définitivement après plus de 20 ans de pratique (trop dangereux); pour me consacrer à une plus grande passion : La Guitare :-)))
Très bonne comparaison,Je roule moi même en moto et l’anticipation fait partie intégrante de mon état dès que je suis sur la selle.C’est une question de survie et à 55 ans les anticipations n’ont pas manquées.Mais alors je n’aurai pas pensé sciemment de l’appliquer à la guitare.je vais essayer de l’inclure dans mon difficile apprentissage de ce bel instrument.
Jouant (essayant…)dans un registre « jazz » au sein de mon école de musique, je suis régulièrement confronté à des partitions avec un tas d’accords qui font plus peur les uns que les autres. Il faut déjà dans un premier temps trouver le placement des doigts, mais ensuite, quand il s’agit d’enchainer en respectant le tempo, il devient nécessaire de visualiser l’accord suivant, voire les deux suivant, tout en jouant le premier. C’est incontournable pour garder la fluidité, et çà devient un automatisme. C’est comme lorsque l’on écrit une dictée, le crayon est toujours en retard par rapport à l’écoute.
Reste à le mettre en oeuvre…
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